Trêve de Noël 1914, le témoignage de Frank Richards « Old soldiers never die ».

Richards, Frank (1883-1961)

Réserviste de l’armée coloniale, Franck Richards a combattu sur le front occidental pendant toute la durée de la guerre. Il a connu de très nombreux secteurs : Ypres, Houplines, Bois-Grenier, Laventie, la Somme, Arras. Ses mémoires forment un récit alerte et riche en informations, notamment pour ce qui est des relations entre Français et Britanniques. On y trouve également beaucoup de colère contre les planqués.

Né Francis Philip Woodruff en 1883 et devenu orphelin à l’âge de neuf ans, le jeune garçon est adopté par son oncle. Après avoir travaillé dans les mines du Pays de Galles, Frank Richards s’engage dans les Royal Welsh Fusiliers en 1901. Pendant sept ans, il sert dans les forces impériales en Inde et en Birmanie, avant de devenir réserviste en 1909. Rappelé en août 1914, il se bat pendant quatre ans sur le front occidental sans subir de blessure notable.

Après la guerre, Richards doit vivre de petits boulots, des problèmes de santé lui interdisant de travailler dans les mines de charbon. Publié en 1933, Old soldiers never die a été écrit avec l’aide non créditée de Robert Graves, l’auteur de Au-revoir à tout cela. L’ouvrage donne le point de vue d’un combattant de l’armée régulière, resté simple soldat durant tout le conflit, ce qui en fait l’originalité Le succès sera au rendez-vous. En 1936, Frank Richards publiera Old Soldier Sahib, qui relate son expérience militaire en Inde.

Old soldiers never die est par certains aspects un livre de mémoires type, qui rassemble l’ensemble des thématiques de la vie quotidienne du combattant britannique de la Grande Guerre. Les cantonnements, le no man’s land, les cadavres, les aumôniers, les Françaises, l’alcool, les corvées, le chapardage, les médailles, les services sanitaires, la trêve de Noël, la nourriture, la combine, l’incompétence de l’État-major, les coups de main, les rumeurs, la prostitution, la désertion, les superstitions, la censure du courrier… rien ne manque au catalogue, ni les anecdotes cocasses ni les personnages hauts en couleur. Tout cela est inséré dans le parcours personnel d’un soldat de métier qui sait allier l’art du coup de gueule à un humour parfois cynique. Robert Graves est passé par là ! Du moins, le livre est-il très bien écrit et la crédibilité de l’auteur ne fait aucun doute. Les états de service de Frank Richards parlent pour lui. Il est l’un des seuls écrivains-combattants à s’être battu d’août 1914 à novembre 1918. Si le trait est parfois un peu forcé, les coups de colère et la dénonciation des injustices ayant cours au front nous apportent un éclairage d’autant plus précieux sur le quotidien des combattants qu’il n’est relayé par aucune idéologie, pacifiste ou patriotique.
Plus d’un critique a vu dans Old soldiers never die un des meilleurs témoignages britanniques de la Grande Guerre. Si le livre est effectivement d’une lecture très agréable, il souffre néanmoins de son regard rétrospectif et de son approche parfois didactique.

Extraits du livre de Frank Richards « Old soldiers never die » (traduction CDM):

Chapitre VI

p45

Noel 1914.

Le matin de Noël, nous avons hissé une planche avec « joyeux Noël » écrit dessus. L’ennemi en avait fait de même. Des sections sortaient parfois pendant 24h heures pour se reposer, c’était  une journée hors de la tranchée pour chasser un peu la monotonie, et ma section était ainsi sortie la nuit précédente mais plusieurs d’entre nous étaient restés en arrière pour voir ce qui pourrait se passer. Deux des nôtres enlevèrent leur équipement et sautèrent sur le parapet les mains derrière la tête. Deux Allemands firent la même chose et remontèrent la rive à pied, nos deux hommes allant à leur rencontre. Ils se présentèrent et se serrèrent la main et nous sortîmes tous de la tranchée.  Buffalo Bill, lui, sauta dans la tranchée et essaya e nous empêcher, mais c’était trop tard. La compagnie entière était sortie et les Allemands de même. Il dut accepter la situation et bientôt lui et les autres compagnies sortirent. Nous et les Allemands nous nous rencontrâmes au milieu du no-man’s land. A présent leurs officiers étaient également sortis. Nos officiers échangeaient des vœux avec eux. Un des officiers allemands dit qu’il aurait aimé avoir un appareil pour prendre une photo, mais il n’avait pas le droit d’avoir un appareil photo, nos officiers non plus.

Nous discutâmes ensemble toute la journée. C’étaient des Saxons et certains savaient parler anglais. A  les voir, leurs tranchées étaient dans un aussi mauvais état que les nôtres. Un de leurs hommes parlant anglais raconta qu’il avait travaillé à Brighton pendant plusieurs années et qu’il en avait plus que marre de cette putain de guerre et qu’il serait content qu’elle se termine. Nous lui dîmes qu’il n’était pas le seul à en avoir plus qu’assez.

P46

Ils ne furent pas autorisés à venir dans notre tranchée et ne nous autorisèrent pas à aller dans la leur. Le commandant de la compagnie allemande demanda à Buffalo Bill s’il accepterait deux tonneaux de bière et l’assurèrent que ses hommes ne seraient pas saouls, ils en avaient plein dans la brasserie. Il accepta l’offre et remercia, puis deux de leurs hommes roulèrent les tonneaux jusqu’à notre tranchée. L’officier allemand renvoya un de ses hommes à leur tranchée, celui-ci revint peu de temps après, portant un plateau avec des bouteilles et des verres. Les officiers des deux camps trinquèrent et burent à la santé de chacun. Buffalo Bill leur avait offert du plum-pudding juste avant.

Les officiers s’accordèrent pour dire que cette trêve non officielle prendrait fin à minuit. A la tombée de la nuit, chacun regagna sa tranchée respective.

Nous avons eu un diner de Noël correct. Une boite de Maconochie chacun et une bonne part de plum-pudding. Une boite de Maconochie comprenait de la viande, des pommes de terre, des haricots et d’autres légumes et pouvait se manger froid, mais nous avions l’habitude de la réchauffer sur un feu.

Maconochie tinned ration (EPH 4379) Empty tin of Maconochie’s ‘beef and vegetables’ ration Copyright: © IWM. Original Source: http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/30084304

Je n’ai pas souvenir de quelqu’un empoisonné par le fer blanc ou le plomb des boites en procédant ainsi. Les meilleures sociétés qui nous approvisionnaient étaient Maconochie’s et Moir Wilson’s et nous pouvions toujours espérer avoir un savoureux diner à l’ouverture d’une de leurs boites.

Mais une autre société qui nous approvisionnait à la même époque a du faire d’énormes bénéfices sur le dos du gouvernement britannique. Avant même d’ouvrir les premières boites, ça sentait le rat. Nous avions des soupçons sur le nom de l’entreprise. Quant nous les ouvrions nos soupçons se confirmaient. Elles ne contenaient rien d’autre qu’un morceau de viande avariée et du riz bouilli. Le responsable de la société aurait du être mis dos au mur et fusillé pour ce qu’il nous avait fait ingurgiter.

Les deux tonneaux de bière furent avalés et l’officier allemand avait raison : s’il était possible à un homme de boire seul les deux tonneaux, il aurait éclaté avant d’être ivre. La bière française était dégoutante. Juste avant minuit, nous avions  tous prévu de ne pas commencer à tirer au fusil avant eux.

P47

La nuit, il y avait toujours beaucoup de coups de feu des deux côtés quand il n’y avait pas d’équipes de travail ou de patrouilles. M.Richardson, un jeune officier qui avait rejoint le bataillon et était à présent officier de la section de ma compagnie, écrivit un poème pendant la nuit de rencontre des Britanniques et des Boches dans le no-man’s land le jour de Noël. Il nous l’avait lu à haute voix. Quelques jours plus tard, le poème fut publié, je crois dans le Times ou le Morning post. Pendant le boxing day (26 dec) nous n’avions pas tiré et eux non plus, chaque camp semblant attendre que l’autre relance les choses. Un de leurs hommes cria en anglais et demanda si nous avions apprécié la bière. Nous avons répondu en criant qu’elle n’était pas forte mais que nous leur en étions très reconnaissants. Nos échangeâmes ainsi toute la journée. Ce soir là, au crépuscule, nous avions été relevés par un bataillon d’une autre brigade. Étonnement il n’y eut aucun murmure de soulagement au cours de la journée. Nous racontâmes aux hommes de la relève comment nous avions passé les deux derniers jours avec l’ennemi. Eux-mêmes (la relève) avaient été hors service pendant 48 heures après28 jours de tranchées sur la ligne de front. Ainsi ils nous racontèrent que les Français avaient entendu parler de la façon dont nous avions passé Noel et disaient toutes sortes de choses désagréables au sujet de l’armée britannique.

Cette nuit là, traversant Armentières, des femmes françaises qui se tenaient à leur porte, nous crachaient dessus et hurlaient : « you no bon, you english soldiers, you boko kamerade allemenge ». Nous les avions maudites jusqu’à en avoir le visage bleu et le Vieux Soldat, qui excellait dans ce domaine, avait une somme impressionnante de gros mots dans beaucoup de langues. Nous repartîmes à Erquinghem dans la périphérie d’Armentières et trouvâmes abri dans des granges. Non loin de ces granges se tenait un grand bâtiment qui avait été aménagé en bains publics pour les troupes. Nous avions pris notre premier bain à la fin du mois de novembre et le second le 27 décembre. Des femmes étaient occupées à repasser les coutures de nos pantalons et chacun donnait sa chemise, son caleçon, ses chaussettes et en recevait des propres, ou supposés propres, en échange.

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Mais dans les coutures des chemises, il y avait des œufs et au bout de quelques heures avec la chemise propre, la chaleur du corps faisait éclore les œufs et on devenait encore plus pouilleux qu’avant. J’étais très content d’avoir  ce deuxième bain car j’avais besoin d’un pantalon. Une semaine plus tôt, alors que j’étais la nuit au village, j’avais fouillé dans une maison et trouvé une magnifique culotte bouffante pour femmes. Je pensais que ce serait une bonne idée de me débarrasser de mon caleçon trop collant. Je la portai et je découvris vite que j’avais fait une grave erreur. Les rampants ayant plus de place pour bouger grouillaient dans cette culotte et en quelques jours j’étais devenu le plus pouilleux de la compagnie. Quand je me suis déshabillé pour le bain, Duffy et le vieux soldat remarquèrent la culotte bouffante et tous deux dirent que j’avais l’air assez gentille pour m’embrasser. Des détachements de renforts nous avaient rejoins depuis le repli et un des lieutenants officier du troisième bataillon, qui nous avait rejoins à Fromelles, était ces derniers temps avec ma compagnie. C’était un très brave homme, que nous aimions beaucoup et qui citait toujours Kipling. Entre nous nous l’appelions Jimmie. Il resta en France par intermittence, plus longtemps que n’importe quel officier à l’exception du lieutenant Yates, l’intendant, de ceux qui étaient avec nous en 1914. Plus d’une fois il assura temporairement le commandement du bataillon et je suis heureux d’apprendre par un ami qu’il a survécu à la guerre. Je le vis pour la dernière fois en juin 1918 sur la Somme. Il était alors commandant en second d’un de nos bataillons que nous avions croisé sur la route. Il m’arrêta, me serra la main et dit : «  eh bien Richard, il en faut beaucoup pour nous tuer, nous les vieux ! »

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